Evolution de l’espace bâti villageois : l’exemple d’un village du Kochersberg, Kuttolsheim aux XVII^e et XVIII^e siècles

La première impression qui se dégage de ces plans successifs (1687, 1724, 1791) est celle de la densification de l’espace bâti, qui va de pair avec l’augmentation des densités de population, indice par excellence d’un « monde plein » arrivant à saturation. Dans le cas présent, nous avons eu la chance de pouvoir disposer de deux terriers successifs (1687, 1724) qui, sous la dénomination de « Dorfetter », décrivent, en plus du finage, « l’enclos » affecté aux constructions ou aux jardins, ainsi que d’un état de sections de l’époque révolutionnaire (1791/1792). Les uns et les autres replacent chaque propriété immobilière, avec ses tenants et aboutissants, dans le tissu villageois. Il serait possible de poursuivre la comparaison au-delà, en utilisant les données des plans cadastraux de 1826/1827, au moment où l’initiative du seigneur se trouve relayée par celle du préfet. Les constatations recueillies ont pu être complétées grâce au recours aux archives administratives ou notariales (testaments et inventaires après décès) et étayées par une connaissance approfondie du milieu, le travail d’enquête sur le terrain venant en complément de la recherche en archives.

Imposées par la documentation existante, les dates ne doivent cependant rien au hasard, car elles sont dictées par les « rénovations » et états des lieux, contemporains de la  reconstruction au lendemain des guerres du XVIIe siècle (1687 et 1724), puis de l’avènement d’un nouveau régime politique soucieux d’information et de contrôle.

Trois phénomènes apparaissent successivement :

• Dans un premier temps, la croissance démographique conduit à combler les vides apparus, du fait des guerres, à l’intérieur de l’agglomération : on sacrifie, dans l’enclos, un certain nombre de jardins, en même temps qu’on réoccupe les espaces abandonnés, encore nombreux en 1687.
• Progressivement, à la périphérie de l’agglomération, des constructions nouvelles gagnent les places communales disponibles, faisant craquer au XVIIIe siècle, période de forte pression démographique, les anciens cadres de l’Etter, au-delà des limites du Dorfgraben, évolution qui se poursuivra au siècle suivant.
• Enfin l’aménagement des maisons existantes, comme l’indiquent les demandes de construction ou d’extension, conduit tantôt à l’adjonction d’une grange ou d’une étable, tantôt à la construction d’une deuxième maison, généralement plus petite, réservée aux parents retirés de l’exploitation ou aux collatéraux restés à la ferme et située de l’autre côté d’une cour faisant fonction d’espace de communication. 

Mais, rapidement et toutes périodes confondues, on se heurte aux limites de l’investigation qu’imposent les nombreux remaniements - partages ou remembrements - liés aux successions, parfois difficilement perceptibles et dont certains échappent aux déclarations officielles. Cette difficulté ne doit pas décourager le chercheur à renouveler l’expérience chaque fois qu’elle est possible.

Source :

Jean-Michel Boehler, Démographie et vie rurale en Basse-Alsace : l’exemple du Kochersberg (1648-1836), thèse 3^e cycle dactyl., Université des Sciences humaines, Strasbourg, 1973, t. III , docts  XVI-XIX et Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), Strasbourg, 1994, t. I, p. 383-385.