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Les caisses de Crédit mutuel en Alsace (1882-1981)

Caractéristiques

Auteur et institut Nicolas Stoskopf, UHA (CRESAT)
Périodes Époque contemporaine
Thèmes Artisanat et industrie
CartographeJean-Philippe Droux, CNRS (ARCHIMEDE)
EchelleAlsace
Date de création2013
SourceCarte originale
Comment citer cette sourceNicolas Stoskopf, « Les caisses de Crédit mutuel en Alsace (1882-1981) », in Atlas historique d'Alsace, www.atlas.historique.alsace.uha.fr, Université de Haute Alsace,

Notice de la carte

Les caisses de Crédit mutuel en Alsace (1882-1981)

Institution de crédit très spécifique à l’Alsace-Lorraine, le Crédit mutuel prend son essor entre 1882 et 1914 sur un terrain éminemment favorable où se conjuguent les attentes d’une paysannerie de petits propriétaires, les aspirations du christianisme social et une législation allemande favorable à la mutualité et à la coopération. Il réussit par la suite à s’adapter au régime français et maintient son avance sur ses concurrents nationaux : en 1939, il collecte plus de ressources que le Crédit agricole dans son ensemble. 

A l’origine du Crédit mutuel, se trouve Friedrich-Wilhelm Raiffeisen (1818-1888), fondateur en 1862 de la première caisse de crédit à Heddesdorf, en Rhénanie, dont l’objectif est de délivrer les paysans du fléau usuraire et de les encourager à se sauver eux-mêmes par l’entraide et la solidarité. C’est la base d’un système mutualiste d’inspiration chrétienne appliqué au crédit qui repose sur quelques principes essentiels : une circonscription de taille restreinte, la responsabilité illimitée des sociétaires, la constitution d’un fonds de réserve inaliénable, l’interdiction de distribuer des dividendes, l’attribution de prêts aux seuls sociétaires, le caractère gratuit et honoraire des fonctions d’administrateur. C’est sur ce modèle qu’est fondée la première caisse de Crédit mutuel alsacienne à La Wantzenau en février 1882. 

1882 : les 17 premières caisses

Les premières caisses (Spar- und Darlehnkassen)  ne naissent pas spontanément de l’initiative des populations. Des médiateurs, en l’occurrence des fonctionnaires allemands, mettent en relation des notables locaux, désireux d’agir, avec des représentants du mouvement Raiffeisen. Il semble que l’impulsion initiale soit donnée par le prince Guillaume de Wied, ami de Raiffeisen, qui intéresse à cette question Otto Back, alors président du district de Basse-Alsace, et le comte zu Solms-Laubach, directeur du cercle de Strasbourg-Campagne à partir de juin 1881. Ils organisent une réunion publique à Brumath le 16 février 1882 dans laquelle peut s’exprimer Martin Fassbender, bras droit de Raiffeisen. Neuf jours plus tard, le 27 février, seize habitants de La Wantzenau fondent la première caisse de Crédit mutuel. Dans les mois qui suivent, quinze autres caisses sont créées en Basse-Alsace, la plupart dans la région de Strasbourg, où s’exerce l’influence du comte zu Solms. L’action de Martin Fassbender est attestée à Weyersheim et à Dambach-la-Ville. La caisse de Guebwiller constitue une double exception : urbaine, elle est aussi la seule de Haute-Alsace. Avec la caisse de Basse-Yutz en Lorraine, ce sont donc dix-huit caisses qui sont créées la première année. 

1890 : 75 caisses

Alors qu’en Lorraine, le mouvement ne connaît aucun développement jusqu’à la fondation d’une seconde caisse en 1893, les créations se multiplient dans les campagnes alsaciennes, souvent par extension en tâche d’huile à partir des communes déjà pourvues, comme on peut le voir au nord et à l’ouest de Strasbourg, autour de Schwindratzheim ou dans l’Outre-Forêt. Des noyaux nouveaux se dessinent, formés de communes limitrophes (Neuwiller-Natzwiller-Wildersbach dans la haute vallée de la Bruche au sud-ouest de Molsheim, Rhinau-Obenheim-Boofzheim au sud d’Erstein, Saint-Hippolyte-Rodern-Bergheim au nord de Ribeauvillé). On observe en effet en Haute-Alsace le même phénomène de diffusion entre communes voisines, notamment à l’ouest de Mulhouse.

Depuis une réunion le 14 juillet 1885 à l’Aubette (Strasbourg) sous la présidence effective de Raiffeisen, les caisses sont regroupées en deux fédérations de Basse et de Haute-Alsace. Elles sont affiliées à des organes fédéraux basés à Neuwied (Rhénanie).

 

1891-1902 : une expansion sur des bases confessionnelles

A partir de 1891, le rythme de création des caisses s’accélère nettement : 25 en 1891, 24 en 1892, 210 au total en douze ans avec une pointe de 53 fondations en 1896. Sur la carte, on remarque le contraste entre des nébuleuses très denses et des zones à peu près vides de toute implantation. Parmi les premières, l’Ackerland à l’ouest de Strasbourg, les rieds le long du Rhin, le vignoble ; parmi les secondes, l’Alsace bossue et les cantons limitrophes de Niederbronn et de Bouxwiller, les Vosges. Quelques ilots restent également à l’écart du mouvement comme la région de Brumath, la plaine au sud d’Erstein ou entre Colmar et le Rhin. Quant au Sundgau, autour d’Altkirch, c’est un territoire qui reste encore largement à conquérir. En revanche, cette période voit les premières implantations urbaines à Mulhouse, sous l’impulsion de l’abbé Henri Cetty à partir de 1896, et à Strasbourg.

Cette géographie traduit pour l’essentiel un clivage confessionnel qui va en s’accentuant. Si le mouvement Raiffeisen est à l’origine chrétien et interconfessionnel, prenant en Alsace le caractère d’union sacrée contre l’usure juive (A. Wahl), il rencontre néanmoins un écho particulier dans le clergé catholique sensibilisé à la question sociale, surtout après la publication de l’encyclique Rerum novarum en 1891, et susceptible d’exercer une autorité sur la communauté villageoise : en 1892 déjà, un village catholique sur cinq dispose d’une caisse contre un village protestant sur douze et un village mixte sur quinze ; d’autre part, plus d’un tiers (37 %) des présidents de conseils de surveillance sont en 1894 des membres du clergé, le plus souvent des curés. Après 1898, il n’y a plus de création dans les villages protestants. 

Au cours de cette décennie, le mouvement poursuit ses efforts de structuration : en 1895, est créée à Strasbourg une filiale de la Zentraldarlehnkasse de Neuwied (puis de Berlin), qui doit faire office de chambre de compensation entre les caisses ; parallèlement, les deux fédérations alsaciennes créent entre elles un bureau central, puis fusionnent en 1896 avec celles de Lorraine dans une fédération unique (Verband ländlicher Genossenschaften für Elsass-Lothringen-Raiffeisen-Verband). 

1903-1914 : une expansion dans la concurrence

Le gouvernement, qui a encouragé au départ en le subventionnant (jusqu’en 1887) un mouvement considéré comme un facteur de stabilité sociale, s’inquiète peu à peu de le voir se mettre au service de forces politiques catholiques. En 1903, mettant à profit les difficultés que rencontre le mouvement Raiffeisen avec ses coopératives agricoles, il suscite la création d’une organisation concurrente, le Revisionsverband, dont les seules originalités techniques sont d’admettre la responsabilité limitée des caisses et d’être affiliées à une caisse centrale régionale, la Landwirtschafltiche Zentraldarlehnkasse für Elsass-Lothringen. La dimension politique anticléricale est donc sa principale raison d’être. Cette initiative provoque des défections dans les rangs des caisses Raiffeisen, dont le nombre diminue de 4 % de 1902 à 1905 avant de repartir de l’avant, et la création ex nihilo de caisses du Revisionsverband, souvent à l’initiative d’enseignants. A la veille de la guerre, l’implantation de ce dernier reste environ quatre fois inférieure à celui du Raiffeisenverband. 

Les deux mouvements fusionnant à nouveau en 1921, notre source ne permet pas de les distinguer sur la carte de 1914 : au total 215 nouvelles caisses sont créées entre 1903 et 1914. On remarque une nette progression dans les villages protestants du nord-ouest (cantons de Sarre-Union, Drulingen, La Petite-Pierre, Bouxwiller et Niederbronn) qui doit être probablement imputée au Revisionsverband. Ailleurs, on note le comblement de certaines lacunes dans la plaine, la progression dans le Sundgau ainsi qu’une pénétration dans certaines vallées vosgiennes (Bruche, Fecht, Thur, Doller)

Aucune création nouvelle n’intervenant entre 1914 et 1918, les caisses sont très exactement 500 quand l’Alsace redevient française.  

1918-1939 : une adaptation réussie

La victoire française conduit à des changements immédiats : le Raiffeisenverband devient la Fédération des caisses rurales d’Alsace-Lorraine, les Spar- und Darlehnkassen sont désormais des caisses d’épargne et de prêts avant de devenir en 1927 des caisses mutuelles de dépôts et de prêts (CMDP). Les affiliations allemandes sont rompues : une caisse centrale est créée sous forme de société anonyme en mars 1919 et adopte la raison sociale de Banque fédérative en décembre. De son côté, le Revisionsverband transforme sa caisse centrale en Banque rurale d’Alsace et de Lorraine. Les deux réseaux mutualistes finissent par fusionner en avril 1921 au sein de la Fédération agricole d’Alsace et de Lorraine, qui abandonne toute référence au christianisme dans ses statuts, mais les deux banques fédérales poursuivent leur existence séparée. 

Fort du maintien du droit local, le mouvement de création redémarre, totalisant 118 nouvelles caisses de 1919 à 1939, avec deux pointes en 1924-1925 et 1930-1931, puis il se ralentit fortement de 1935 à 1939 (7 créations seulement). A l’heure où l’antagonisme confessionnel se résorbe au sein du mouvement réunifié, les territoires protestants restent des fronts pionniers : Vosges du Nord, environs de Barr, plaine à l’est de Colmar et surtout la vallée de Munster, bastion jusque-là réfractaire aux CMDP.

En 1939, 196 caisses suivent la population dans son évacuation vers le Sud-Ouest. La Banque rurale se réfugie à Schirmeck, mais ouvre également un bureau à Périgueux où elle assure la compensation financière de toutes les caisses évacuées, quelles que soit leur affiliation avant-guerre. De même, la Banque fédérative s’installe à Barr et se met au service de toutes les caisses demeurées en Alsace et en Moselle.

1940-1944 : le Crédit mutuel dans l’Alsace annexée

Les nazis prennent une série de décisions : séparation entre les caisses alsaciennes et lorraines, rattachement de la fédération alsacienne à la fédération Raiffeisen badoise, fusion-absorption de la Banque rurale par la Banque fédérative qui adopte la raison sociale d’Elsässische Landesgenossenschaftbank AG, concentration des caisses au niveau communal à Strasbourg et à Mulhouse. Plus surprenante est la reprise des créations en 1940 (27) et 1941 (11) avant de se tarir presque entièrement (3 au total de 1942 à 1944) : Brumath, d’où le mouvement était parti en 1882, et six autres communes proches, sont ainsi pourvues de leur première caisse…

1945-1981 : compléments

Au lendemain de la guerre, les trois-quarts des communes alsaciennes ont leur caisse de Crédit mutuel. Les perspectives de développement territorial sont limitées et le Crédit mutuel n’a évidemment pas besoin de participer à la course au guichet des années 1960-1970 : en 1969, son réseau représente 76 % des guichets bancaires en Alsace. Néanmoins, 95 caisses sont encore créées entre 1947 et 1981, soit une moyenne de 2,7 par an. De nombreux chefs-lieux d’arrondissement ou de canton (Altkirch, Dannemarie, Seltz, Benfeld, Bischwiller, Saverne, Thann, Barr, Erstein…) hébergent ainsi leur première caisse de Crédit mutuel, ce qui montre a contrario comment ont longtemps été privilégiés les petits villages. La clientèle strasbourgeoise est également mieux desservie. Seules quelques communes reculées des Hautes-Vosges restent encore à l’écart du mouvement. On dénombre à l’apogée, en 1981, 754 caisses en Alsace, mais depuis 1972, celles des cantons de Sarre-Union, de Drulingen et, en partie, de La Petite-Pierre sont rattachées au district de Sarrebourg. 

A l’évidence, la croissance du Crédit mutuel ne repose plus au cours de cette période sur son expansion territoriale alsacienne, mais sur l’augmentation de ses sociétaires (+ 10 %/an de 1962 à 1973) et la diversification de ses activités. Sur le plan géographique, le fait nouveau de la période est l’expansion en Lorraine francophone de la fédération de Strasbourg et sa fusion en 1972 avec la toute jeune fédération de Franche-Comté née en 1966. C’est le point de départ d’un nouvel axe de développement. 

Source :

Chronologie de la création des caisses de Crédit mutuel en Alsace de 1882 à 1981, documentation du Crédit mutuel (Jean-Luc Brachet). Cette source, donnant la date de fondation des caisses en activité en 1981, ne tient pas compte de celles qui ont dû fermer. Ce cas de figure, attesté depuis le début du XXe siècle, est néanmoins suffisamment rare pour ne pas invalider le traitement cartographique. 

Bibliographie :

  • André Gueslin, Le Crédit mutuel. De la caisse rurale à la banque sociale, préface de Pierre Pflimlin, Strasbourg, Coprur, 1982
  • Alfred Wahl, Confession et comportement dans les campagnes d’Alsace et de Bade (1871-1939), Strasbourg, Coprur, 1981.

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