Atlas historique d’Alsace, l’histoire de l’Alsace en cartes
Caractéristiques
Auteur et institut | Benoît Jordan, Archives de la ville et de l'Eurométropole de Strasbourg | |
Périodes | Moyen Âge | |
Thèmes | Cultes | |
Cartographe | Jean-Philippe Droux, CNRS (ARCHIMEDE) | |
Echelle | Alsace | |
Date de création | 1995 | |
Date de dernière modification | 2007 | |
Source | Gerd MENTGEN, Studien zur Geschichte der Juden im mittelalterlichen ELsaß, Hannover, 1995 (Forschungen zur Geschichte der Juden, A/2). | |
Comment citer cette source | Benoît Jordan, « Les Juifs en Alsace : installations, persécutions et expulsions de 1250 à 1522 », in Atlas historique d'Alsace, www.atlas.historique.alsace.uha.fr, Université de Haute Alsace, 2007 |
Notice de la carte
La thèse de Gerd Mentgen sur le judaïsme alsacien au Moyen Age permet de discerner la présence de communautés juives sur le long terme, du XIIe au début du XVIe siècle, mais aussi d’apprécier les divers degrés d’intégration de ces communautés dans une société qui les accepte ou les rejette. Les cartes présentées dans ce dossier sont un des grands apports de sa thèse, répondant à la question primordiale de l’implantation de communautés juives en Alsace.
Mais il faut, avant tout chose, définir les critères de définition d’une présence communautaire. La construction d’une synagogue et la présence d’un bain rituel (un mikvé), celle d’un cimetière souvent partagé entre plusieurs communautés, sont des indicateurs certains, mais soumis à l’acceptation de leur présence par l’autorité seigneuriale locale. La réglementation émanant de ces autorités constitue une source essentielle, de même que les sources fiscales et judiciaires ainsi que les évocations des persécutions dans les chroniques. Cela dit, on trouve plus souvent trace d’individus ou de familles dont le domicile même n’est pas toujours assuré. Pour autant, le croisement des différentes sources permet de définir des séquences chronologiques autour d’une date essentielle dans l’histoire du judaïsme rhénan, celle de 1349.
Avant le XIIe siècle, on ne dispose d’aucune trace de communauté constituée en Alsace. A Strasbourg, seule ville digne de ce nom dans la région avant 1200 avec Bâle, une communauté est constituée de manière suffisamment importante au plus tard vers 1180 pour qu’elle soit associée à la vie de la cité et à la défense commune : les juifs doivent fournir l’étendard de la ville et défendre un secteur des murailles. Jusqu’au XIVe siècle, les juifs conservent un statut juridique qui les place sous la protection du Schultheiss, officier épiscopal jusqu’en 1340. Mais le relevé de l’impôt impérial sur les juifs permet d’évaluer une population assez peu nombreuse, environ 300 personnes – s’acquittant d’un montant élevé. La synagogue et les bâtiments de la communauté se situent alors sur l’actuelle rue des Juifs, à l’ange de la rue des Charpentiers. Cette universitas judeorum est alors intégrée dans la vie de la cité au même titre que d’autres corps constitués.
Après Strasbourg mis à part, reste le cas de trois villes qui abrite des communautés : Haguenau (un cimetière y est attesté) ainsi que Rosheim, Obernai, trois territoires relevant des Staufen. Des juifs établis dans ces deux dernières villes sont cités en 1215. En revanche, pour le reste de l’Alsace, il ne semble pas que les villes impériales ni les bourgs ou villages seigneuriaux aient abrité de communauté constituée.
De 1251 à 1300, le nombre de communautés attestées passe à quatorze. Cette présence plus forte est à mettre en relation avec le développement des villes et l’essor économique et citadin que connaît l’Alsace au XIIIe siècle. Les bourgs comme Marmoutier accueillent des individus ou des communautés ; à Wissembourg, une affaire de crime rituel signale des juifs en 1270.
En Haute-Alsace, ce n’est qu’après 1250 qu’une présence juive est attestée à Colmar (avec cimetière et synagogue, en 1278), ainsi qu’à Sélestat, Bergheim, Kaysersberg, Ensisheim, Thann, Altkirch.
On peut évaluer l’importance d’une de ces communautés, celle de Guebwiller, qui aurait pu compter en 1270 entre 60 et 70 personnes pour une population totale de 1400 personnes au maximum. Pour les autres communautés, sans doute étaient-elles bien moins importantes, à part celle de Strasbourg et celle de Colmar.
Les cinq décennies suivantes montrent un complet changement dans ce tableau. Avant la date-pivot de 1349, sur soixante-six villes alsaciennes, seulement dix-sept n’ont pas d’habitants juifs. Ceux-ci se retrouvent également dans des bourgs comme Hochfelden, Marlenheim, Bischwiller, Landser. Toutes les villes impériales ont une communauté. Cependant, des synagogues ne sont pas partout repérées : on en connaît à Neuwiller-lès-Saverne, Haguenau, Saverne, Strasbourg, Molsheim, Obernai, Sélestat, Bergheim, Ribeauvillé, Colmar, Rouffach, Guebwiller, Soultz, Mulhouse, Altkirch – ce qui donne un chiffre somme toute modeste par rapport au nombre global des communautés. Il faut admettre cependant l’hypothèse de lieux de prières dans des maisons privées, mais dont on n’a pas de trace. Le nombre des cimetières reste plus modeste : Rixheim, Strasbourg, Haguenau, Colmar. Cela n’empêche de soupçonner l’existence d’autres cimetières.
Ainsi, en une cinquantaine d’années, la présence juive s’est fortement accrue, accompagnant ou suivant le développement urbain et économique de la région, mais aussi, vraisemblablement, en liaison avec les expulsions des juifs du royaume de France en 1306 et de la comté de Bourgogne. Signe de cet afflux : à Strasbourg, en 1338, on distingue les juifs allemands des autres, indice d’origines géographiques différenciées au moins sur le plan dialectal. En 1348, les trois quarts des villes alsaciennes ont une communauté juive : c’est le plus haut niveau de présence qui est alors atteint tout au long du Moyen Age.
Dans le reste de l’Alsace, il n’y a guère de lieux ou de zones où ne se sont déchaînées des persécutions avant 1400. C’est, paradoxalement, un indicateur précieux de la présence juive en Alsace. On relève que les premières expulsions sont décidées dans les territoires des comtes de Ferrette, en 1309. Outre 1349, 1397 a également été une année de persécutions.
L’année 1349 est devenue synonyme de catastrophes pour ces communautés implantées dans les villes. Les expulsions et les pogroms les annihilent, réduisant le nombre des communautés attestées à 21 pour la période. Assez rapidement après la crise de 1349, des communautés sont autorisées à se reformer à Colmar, Haguenau, Mulhouse. D’autres apparaissent dans de petites villes comme Epfig. Le cimetière de Rosenwiller est à nouveau utilisé en 1366 au plus tard. Cependant, l’année terrible 1349, qui ouvre une longue période de méfiance à l’égard des juifs, inaugure une période de réduction du nombre de communautés qui semblent se resserrer. Il n’y a plus guère que les villes impériales de Haguenau, Rosheim, Obernai, Sélestat, Kaysersberg, Turckheim, Munster, Colmar, Mulhouse, Altkirch qui ont des communautés constituées, ainsi que quelques villes seigneuriales comme Molsheim ou Ensisheim. Il faut relever l’ordre donné par l’empereur Charles IV aux villes impériales dès 1353 d’accueillir à nouveau les juifs.
Cette période ne montre guère de changements par rapport à la situation précédente. A Strasbourg, l’interdiction de résidence promulguée en 1390 implique un équilibre au profit d’autres villes. La carte montre une particularité : la concentration de communautés entre Sélestat, Colmar et Munster : cette zone de 600 km² accueille douze communautés, soit les deux cinquièmes pour toute la région. On y trouve de nouvelles implantations à Ammerschwihr, Dambach, Saint-Hippolyte, Zellenberg, signe d’une activité forte dans ces bourgades qui accèdent ou renforcent leur rang de ville. La répartition géographique homogène qui existait un siècle plus tôt semble bien avoir disparu.
Sur cette longue période, on remarque un pic, lié à la fin des guerres de Bourgogne qui s’accompagne d’une nouvelle flambée de violence affectant les villes tant seigneuriales qu’impériales. Ce sont les communautés du vignoble (entre Sélestat et Colmar) et celle des territoires habsbourgeois qui en sont les victimes.
La carte traitant du troisième quart du XVe siècle montre une relative absence du judaïsme dans les campagnes, ce qui contredit l’affirmation reprise traditionnellement d’un judaïsme devenu rural après les persécutions de 1349. Les juifs demeurent essentiellement dans les bourgs et les villes où, bien que surveillés et confinés dans des quartiers, ils peuvent exercer des activités diverses.
On relève une quasi-absence de communautés dans le Sundgau habsbourgeois, ce qui est révélateur des troubles politiques que subit cette région durant les années de la « Bourgogne sur le Rhin ». En revanche, Bollwiller accueille une école qui semble avoir été importante. Ensisheim, Mulhouse, Cernay ont également été des centres importants. En revanche, les communautés de Masevaux, Altkirch, Thann sont réduites à peu de chose.
Une concentration plus forte apparaît dans la région de l’Alsace centrale à Boersch, Obernai, Rosheim, Bischoffsheim, Niedernai, Molsheim. Mais Ribeauvillé, Riquewihr, Saint-Hippolyte, Zellenberg perdent leur communauté durant cette période.
A la fin de l’époque médiévale, on compte 32 communautés juives installées dans des villages pour 22 communautés urbaines. On est donc assez proche du chiffre de 58 communautés repérées à l’âge d’or du judaïsme alsacien, avant 1349. Les juifs chassés des villes d’Empire et des territoires de l’évêché de Strasbourg se réfugient alors dans les châteaux, mais surtout dans les villages de la Reichslandvogtei de Haguenau : la protection impériale présente suffisamment de garanties. Ailleurs, on assiste à des mouvements opposés : le cimetière de Colmar est fermé en 1510, alors que d’autres cimetières sont ouverts à Ettendorf, Dangolsheim, voire Orschwiller. Une immigration massive semble avoir eu lieu en provenant du royaume de France, alors qu’une émigration vers la Lorraine intervient vers 1460-1470. Ces mouvements migratoires se déroulent sur un axe est-ouest, entre la Souabe, la Franconie et la Bavière, un axe rhénan Nord-Sud privilégiant les liens avec les villes de Francfort, Spire, Worms et Mayence.
Gerd MENTGEN, Studien zur Geschichte der Juden im mittelalterlichen ELsaß, Hannover, 1995 (Forschungen zur Geschichte der Juden, A/2).
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